Lettres d’amour à vos trolls
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Ils sont community managers ou responsables de communication, qui en exercent la fonction. L’élu(e) de leur cœur est un troll – vous savez, ces personnages malfaisants qui viennent perturber le débat – et ils lui déclarent aujourd’hui une flamme… parfois au napalm ! Vous avez eu votre dose de guimauve, dans les médias et sur les panneaux lumineux de votre ville ? Vous n’allez pas être déçus ; ici, l’amour n’a pas forcément le même goût…
Régalez-vous avec ces 10 lettres écrites par Benjamin Teitgen, Marc Thébault, Noëlle Saunier, Damien Filbien, Pierre Renaud, Cécile Ferrer-Staroz, Valentine Desbois, Philippe Joly, Séverine Alfaiate et Géraldine Sourdot. Mise à jour : et deux nouvelles de Thomas Biarneix et Karen Patouillet ! Plus quelques tweets bien sentis. Un florilège de déclarations d’amour ou de haine, en rimes ou en chanson, tantôt stratégiques, psychologiques, intimes, sarcastiques, mais toujours tout en finesse et élégance.
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L’idée de ce billet, comme de l’opération #LDAMT16 part de cet article (déjà culte) écrit en 2013 par Benjamin Teitgen, responsable des éditions print / web de la Métropole et ville de Rennes. Ce texte fondateur et drôle ouvre donc le bal. Oui, comme nous l’explique Benjamin, avoir un troll peut être une chance dans sa stratégie éditoriale. Une aubaine, servie sur un plateau, pour mettre les points sur les i… et les barres au t du troll !
Déclaration d’amour à mon troll
À mon troll,
Je t’écris ces quelques lignes pour te dire à quel point tu m’avais manqué. Je sais, on ne se connait pas. Enfin, disons plutôt que tu ne me connais pas, car moi je pense avoir appris à te connaître plutôt bien…
Je ne t’avais pas vu ni lu depuis longtemps, et soudainement, la semaine dernière, tu es revenu, à mon grand étonnement. Les échanges que nous avons eus, habilement cachés derrière ton pseudo et mon identité institutionnelle, m’ont fait comprendre à quel point tu m’avais manqué. J’ai donc décidé de te déclarer mon amour (presque) sincère et (presque) sans arrière-pensée.
« Par ta seule présence, tu me permets de donner des gages d’ouverture »
Tu ne le sais sans doute pas, car tu ne t’es jamais posé la question, mais tu m’apportes énormément quand tu viens tenter de “pourrir” les espaces de discussion que j’anime.
Pour commencer, par ta seule présence, tu me permets de donner des gages d’ouverture à l’ensemble de notre communauté. Tu es la preuve vivante de ma bonne volonté et de mon ouverture au dialogue. Sans le moindre doute, tu vaux plus que tous les “labels truc” et certificats ISO je-ne-sais-quoi…
Par tes interpellations ou tes propos à l’emporte-pièce, tu me donnes l’occasion inespérée de m’adresser à tout le monde à travers toi. Il y a tant de choses qui semblent évidentes, qui vont sans dire, mais qui vont mieux en le disant… et que je peux exprimer grâce à toi. Quand je repense à tous ces messages et toutes ces informations que je peux adresser à tout le monde en répondant à tes invectives, qui hors contexte passeraient pour de la “com un peu trop insistante” et qui deviennent de simples “mises au point” ou “précisions”… c’est une bénédiction !
« Tu es une aubaine pour mon taux d’engagement et mon reach »
Grâce à tes interventions saugrenues, à ta mauvaise foi et à ta légendaire délicatesse, tu arrives même parfois à liguer contre toi et autour de moi toute une série de “fans” qui s’empressent de venir me défendre. J’avoue que je n’en demandais pas tant…
Tu réagis, sur-réagis, tu fais réagir les autres, alimentes le débat et la controverse… bref tu es une aubaine pour mon taux d’engagement et mon reach. Malgré toi, tu me permets donc même de gagner en visibilité pour mes messages actuels et futurs. Sois-en éternellement remercié.
Autre bienfait de ta présence et de tes débordements, tu me donnes fréquemment l »occasion inespérée de m »afficher sous mon meilleur jour. Grâce à toi, je peux montrer à tout le monde à quel point je suis tolérant, zen, drôle, accessible, mais aussi à quel point je maîtrise mes sujets sur le fond comme sur la forme.
Enfin, “last but not least”, tu me permets également de faire un important travail sur moi-même : self-control, lâcher prise, distanciation… tu n’imagines pas les économies de psy que je peux faire grâce à toi !
Excuse-moi par avance si certains jours je suis moins réceptif et plus susceptible, mais je t’en prie, continue, et surtout reste dans les limites de ma charte de modération, car ça me ferait vraiment mal au cœur d’être obligé de te bannir ! Alors s’il te plaît, ne tombe pas dans l’insulte, l’attaque personnelle ou le prosélytisme. Reste dans ce que tu fais le mieux : la rumeur, la critique et la mauvaise foi… Reste toi-même, ne change rien, je t’aime comme ça.
[Texte écrit par Benjamin Teitgen,également publié ici]
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C’est sur le registre de la compassion, avec le talent et l’humour qu’on lui connait, que Marc Thébault, directeur de la communication de l’agglomération de Caen-la-Mer, a décidé de rédiger sa lettre d’amour. Pour Marc, le troll nous invite à l’introspection, jusqu’à mettre notre part d’ombre en lumière. Puis, Dr Thébault allonge ses trolls sur le divan, pour y voir d’attachants vilains petits canards souffrants. La fin est plus rassurante…
Lettre d’amour, et de compassion, à nos trolls
Une fois n’est pas coutume, intéressons-nous à celles et ceux qui nous veulent du mal, a priori. Je te dis bien “a priori” car, avec un peu de recul, nous allons sans doute constater que, si au premier degré, c’est la haine et le glauque qui s’affichent, au second degré, c’est une part d’humanité qui s’exprime et qui, de plus, va entraîner des effets indirects absolument bénéfiques. Donc, oui, cela vaut vraiment la peine d’écrire une lettre d’amour à nos trolls.
D’abord, le troll est forcément révélateur de notre part d’ombre. Ayant, lui, eu le courage d’hurler au grand jour son côté obscur, alors que nous sommes recroquevillés derrière notre désir petit bourgeois de bonne et belle apparence, le troll ose tout. C’est même à ça qu’on le reconnaît. Certes, il va avancer masqué ; mais on va lui pardonner cette coquetterie car l’essentiel n’est pas là. Non, ce qui importe en vérité, c’est qu’il fait résonner en nous nos plus bas instincts et nos plus viles pensées. Et cette découverte ne peut être vaine car elle nous éclaire, forcément, sur notre vraie nature. Un peu comme le profiler se doit d’aller puiser au plus profond de lui ses côtés les plus noirs pour mieux, ensuite, comprendre qui il doit chasser.
« C’est vers son père incestueux, alcoolique et brutal ou sa mère libidineuse, manipulatrice et frivole – voire les deux – qu’il faudrait tourner nos reproches »
Ensuite, le troll souffre, visiblement. Sans être de grands experts de Freud et des traumatismes de la petite enfance, il est assez aisé d’envisager que cette conduite déviante (entendre : “qui s’écarte volontairement des codes de bonnes conduites sur les réseaux sociaux”) trouve sa source dans de douloureux rapports avec les parents. Comment expliquer sinon autant de haine et de méchanceté accumulées ? Impossible donc lui en vouloir totalement alors que c’est vers son père (incestueux, alcoolique et brutal ?) ou sa mère (libidineuse, manipulatrice et frivole ?) – voire les deux – qu’il faudrait tourner nos reproches ? Surtout que, cerise sur le gâteau, le hasard génétique a peut-être joué un sale tour à notre troll en ne sélectionnant, pour son patrimoine héréditaire, que les pires aspects de l’ADN de ses géniteurs, qu’il s’agisse de traits de caractères ou de particularités physiques ? Accordons donc immédiatement des circonstances atténuantes à ce vilain petit canard qui ne deviendra jamais un cygne.
« L’usurpateur réussit pendant quelques temps à se tenir à la place qui appartient de droit au héros »
Et puis, “ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte” ! Oui, qu’il est fort ce lien réciproque de dépendance qui nous unit à jamais. Nous le savons, et Benjamin Teitgen l’a parfaitement écrit, la mise en valeur de nos propres qualités est proportionnelle aux gerbes en 140 caractères de nos coquins. Plus elles sont glauques, plus nous pouvons démontrer nos bonness et exceptionnelles facettes, intelligence, compassion, droiture morale et tolérance incluses. Mais, en sens inverse, c’est parce que nous existons que le troll peut s’exprimer et apparaître au grand jour. Nous avons donc une grande responsabilité. Si, depuis Saint-Exupéry, nous savons que nous sommes responsables des choses que l’on apprivoise, rappelons que nous sommes responsables de ce que nous avons fait émerger ! Nous sommes ceux par qui le troll arrive ! Ne nions pas cette causalité. Et, pour mieux comprendre, laissons à Victor Hugo les mots pour le dire (extraits de A ceux qu’on foule aux pieds) :
« Hélas ! Combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c’était à vous de les conduire,
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D’une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité.[…] Acharnez-vous ! Soyez les bien venus, outrages.
C’est pour vous obtenir, injures, fureurs, rages,
Que nous, les combattants du peuple, nous souffrons,
La gloire la plus haute étant faite d’affronts. »
Enfin, tout finit toujours bien. Dans l’univers des mythes et légendes séculaires nordiques, pour Wikipédia, « le plus souvent les trolls sont considérés comme dangereux et malhonnêtes. Dans cette tradition, le troll est fréquemment relié à des légendes d’enlèvements d’adultes ou d’enfants, d’après des légendes comparables à celles du folklore celte. ». Et puisque l’on parle de personnages de légendes, relisons Bruno Bettelheim qui a écrit, dans Psychanalyse des contes de fées : « Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu’exige notre passage de l’immaturité à la maturité. Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d’abord refléter notre image ; mais derrière cette image, nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts. ». On le voit donc sans équivoque, le troll est utile comme révélateur et comme guide.
« Les méchants des contes finissent toujours par perdre »
Merci donc cher troll, toi sans qui la vie, sur les réseaux sociaux du moins, serait tellement moins romanesque. Merci également de nous faire vérifier régulièrement cette conclusion, toujours de Bettelheim : « Le mal est présenté avec tous ses attraits – symbolisés dans les contes par le géant tout-puissant ou par le dragon, par les pouvoirs de la sorcière, la reine rusée de Blanche-Neige – et, souvent, il triomphe momentanément. De nombreux contes nous disent que l’usurpateur réussit pendant quelques temps à se tenir à la place qui appartient de droit au héros (comme les méchantes sœurs de Cendrillon). Ce n’est pas seulement parce que le méchant est puni à la fin de l’histoire que les contes ont une portée morale ; dans les contes de fées, comme dans la vie, le châtiment, ou la peur qu’il inspire, n’a qu’un faible effet préventif contre le crime ; la conviction que le crime ne paie pas est beaucoup plus efficace, et c’est pourquoi les méchants des contes finissent toujours par perdre. ».
[Texte écrit par Marc Thébault]
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“La haine n’est pas le contraire de l’amour, c’en est l’envers”. Par cette citation d’Honoré de Balzac, Noëlle Saunier, responsable de la communication de la mairie de Lieusaint, donne le ton de sa lettre. Plus le portrait avance, plus on sent la crispation. Son “Je t’aiiime” semble chanté par une Lara Fabian au bord de la crise de nerfs, qui tiendrait un micro dans une main, et un croc de boucher dans l’autre. Non Noëlle, faut pas craquer…
Lettre d’amour à mon troll
J’aurais dû m’en douter. Tous les symptômes sont là, évidents, et pourtant je ne les vois pas. Je me voile la face.
Je guette tes messages chaque matin et même parfois le soir… tard. Je vérifie leur arrivée sur mon Iphone toutes les 8 minutes en moyenne, quand je ne suis pas devant mon mac, afin de répondre le plus vite possible : faire baisser mon temps de réponse ? Que nenni ! Je fouille dans ton profil afin de trouver une photo de toi : il n’y a que ton avatar. Je googlise ton nom pour connaître tes passions (en dehors de ton activité de troll), ton métier…
En fait, cela crève les yeux, je l’avoue enfin : je suis amoureuse. Oui amoureuse de toi… mon troll. Aujourd’hui, je veux le crier à la face du monde : JE T’AIME !!
« La haine n’est pas le contraire de l’amour, c’en est l’envers. » (Honoré de Blazac)
J’aime tes coups de gueule contre les morilles qui poussent en février alors qu’elles devraient pousser en avril (d’ailleurs je ne crois pas t’avoir remercié pour cette jolie photo de ladite morille postée sur ma page). Certains hommes m’ont offert des fleurs pour la Saint-Valentin. Idiots qu’ils étaient ! Toi c’est une morille ; tellement plus original.
J’aime ta mauvaise foi, j’aime que tu me mettes sur un piédestal et que tu imagines que je suis omnisciente, capable de tout régler et responsable de tout : les avions qui volent trop bas dans le ciel, les champignons (ça j’en ai déjà parlé mais cela m’a marqué), le médecin de la commune qui est décédé (c’est sûr j’ai du récupérer ton dossier médical, « si c’est pas la mairie qui l’a, je vois pas qui !»), le lampadaire éteint juste devant chez toi (un complot, encore un coup de la mairie), les chenilles processionnaires, la neige qui tombe, le TROU DANS LA COUCHE D’OZONE (!!!)…
« J’aime que tu me donnes des conseils pour mieux communiquer, parce qu’enfin, c’est vrai, parfois je fais mal mon travail »
J’aime que tu me donnes des conseils sur le façon dont il faudrait faire pour “mieux communiquer”, parce qu’enfin c’est vrai, parfois, “je fais mal mon travail”. J’aime tes fautes de syntaxe et d’orthographe. J’aime ton sens de l’à propos, quand tu fais tes commentaires, sur-commentaires sur des post qui n’ont rien avoir avec le sujet.
J’aime ta présence assidue aux réunions publiques, conseil municipal pour poser LA bonne question, qui fera du BUZZ, et qui sera pertinente pour l’intérêt général.
Voilà, ma déclaration, j’espère que nous pourrons enfin nous rencontrer très bientôt. Dimanche, jour de la Saint-Valentin, sur les panneaux lumineux de la ville défilera mon message d’amour. J’espère qu’il touchera ton cœur de troll. Car, enfin, que serait ma page, que serait ma vie… sans toi ?